Accident mortel au Neufour

En octobre 1914, le front commence à se stabiliser un peu partout et confronte rapidement les armées à une guerre de siège toujours plus gourmande en hommes, en matériels et en munitions. En plus des problèmes logistiques, les unités combattant en Argonne doivent également faire face à d’autres inconvénients. En effet, comment alimenter régulièrement des positions de combat, dans une région forestière, très mal desservie par les réseaux de communications et dont les infrastructures ne sont pas absolument prévues pour accueillir les milliers de soldats nécessaires à leur défense?

Dans la précipitation des premières semaines de combat, les militaires vont improviser en transformant les villages, désertés par les populations, en véritable casernement et en installant les ambulances des services de santé et les quartiers généraux dans les plus grands édifices ou dans les gares. Les tonnes de munitions et de vivres, qui arrivent tous les jours par trains ou par camions, sont stockées dans des bâtiments civils pas toujours très adaptés à cet usage. Cette activité intense finira par entraîner des accidents dont les victimes viendront encore grossir les pertes significatives causées par les combats de la Haute Chevauchée et du Bois de la Gruerie.

BDIC_VAL_193_205

Relève sur la route qui longe la vallée de la Biesme – BDIC – Fond Valois (VAL 193/205) – Septembre 1916

Avec l’enlisement progressif du conflit, les militaires vont être contraint de réorganiser complètement les quelques kilomètres en arrière des lignes, réquisitionnant les industries locales à l’arrêt depuis le début de la guerre. Ils parviendront ainsi en seulement quelques mois à transformer la vallée de la Biesme en une véritable base logistique capable d’alimenter tout le secteur.

Scierie 13 R.G. en Argonne

Scierie du 13° Génie – Collection EMBRY Mikaël

Le Neufour sera alors utilisé comme cantonnement pour les contingents attendant de monter au front, tandis qu’un bâtiment non loin de l’église sera utilisé par les artilleurs et les sapeurs pour y stocker leurs munitions et leurs explosifs.

Le Neufour - Groupe de soldats 113 R.I.

Groupe de soldat du 113° R.I. au Neufour – Collection EMBRY Mikaël

Fin décembre 1914, le commandement donne l’ordre aux unités occupant le village de construire un réseau de fils de fer, qui sera utilisé pour des essais de destruction. En prévision de ces expériences un bouclier sur roues muni d’un chalumeau oxyacétylénique est livré le 29 décembre et rejoint pour la nuit les 150 obus sphériques pour mortiers de 15, 25 projectiles de cheddite, 100 bombes à mains, 80 fusées éclairantes, 50 projectiles pour mortier Cellerier et des 30 kilogrammes de poudre M.C. 30 déjà stockés dans le dépôt de munitions improvisé. Il doit être utilisé le lendemain pour une démonstration devant un parterre d’officiers.

Le 30 décembre, le village est réveillé vers 8h45 par une violente déflagration. Le magasin derrière l’église vient d’exploser en embrasant les maisons des alentours. Les Français tentent immédiatement de contenir le sinistre, mais il leur faudra lutter pendant plusieurs heures et le soutien des 5°, 6°, 7° et 8° Compagnies Garibaldiennes pour parvenir à éteindre l’incendie.

Le Neufour - Village après l'explosion

Ruines laissées après l’explosion et l’incendie du 30 décembre 1914 – Collection EMBRY Mikaël

Les causes exactes de cet accident restent encore inconnues, mais l’explosion et l’incendie détruiront toute une partie du village. En fin de journée, on dénombre deux sous-officiers, dont un Sergent de la Compagnie 5/3, tués par la détonation et quatorze blessés.

Le Neufour - Vitrail

Vitrail rappelant l’accident du 30 décembre 1914 – Photographie EMBRY Mikaël

Même si les bâtiments détruits n’ont jamais été reconstruit, les traces de l’explosion ont aujourd’hui complètement disparues et seul un vitrail de l’église rappelle l’événement du 30 décembre 1914.

Sources :
Journaux des Marches et Opération de la 10° Division d’Infanterie :
    – Génie – 2 août 1914-31 mars 1915 – 26 N 1161
    – Service de santé divisionnaire – 6 août 1914-31 décembre 1916 – 26 N 28814
    – Parc d’artillerie – 8 août 1914-17 novembre 1915 – 26 N 1038

 

Le long voyage d’un crucifix

Après l’entrée en guerre des États-Unis le 6 avril 1917, des milliers de bateaux accostent en Europe pour débarquer près de deux millions de Sammies. Ces nouveaux soldats sont immédiatement dirigés vers des camps où les Français et les Anglais se chargent de leur instruction, puisque le service militaire n’existe pas outre-Atlantique. Petit à petit, les divisions américaines sont engagées sur le front de l’ouest pour aider les alliés dans leurs grandes offensives. Les Américains participeront ainsi à la Deuxième Bataille de la Marne entre mai et août 1918, puis à la libération du saillant de Saint-Mihiel avant d’être déployés dans le secteur de Verdun.

Le haut commandement réfléchit depuis plusieurs semaines à un vaste plan offensif pour soulager Verdun et relancer la guerre de mouvement en repoussant l’ennemi vers le nord. Le terrain choisit pour cette assaut est situé dans un secteur à l’ouest de la place forte et qui est réputé calme depuis plusieurs mois, l’Argonne.

L’opération sera menée conjointement par la IVème Armée française, du Général Gouraud et la 1ère Armée américaine du Général Pershing. Les troupes françaises établiront leur tête d’assaut dans la vallée de l’Aisne et progresseront vers le nord en longeant celle-ci, tandis que les Sammies exécuteront la même manœuvre dans la vallée de l’Aire à l’est.

En prévision de cette offensive, d’importants moyens humains et matériels sont acheminés en Argonne, repeuplant ainsi les villages et les camps de la région. Courant septembre des unités de blindés françaises et américaines débarquent dans les gares locales et stationnent à l’arrière en attendant l’ordre de départ.

Carcasses blindées

Carcasses de blindées après l’attaque Meuse-Argonne – Collection E.M.

Le 24 septembre 1918, les 2075 hommes du 110th Infantry Regiment sont déployés dans les environs de Neuvilly-en-Argonne. Le Lieutenant-Colonel Edward Martin, commandant le régiment et son état-major s’installe son poste de commandement à la ferme d’Abancourt pendant que l’infirmerie de l’unité prend ses quartiers dans l’église du village.

Château d'Abancourt

Le château d’Abancourt a été détruit au début de la guerre – Collection E.M.

Toute l’Argonne s’embrase le 26 septembre 1918, lorsque le Grand Quartier Général déclenche l’offensive Meuse Argonne!

En quelques heures, un impressionnant dispositif d’assaut se met en branle et écrase les tranchées ennemies sous un feu puissant.Les Allemands sont rapidement contraint de reculer face à cette déferlante d’obus et de combattants que même les mitrailleuses ne semblent pouvoir arrêter. Les premiers blessés arrivent bientôt à l’arrière et dans le secteur de Neuvilly-en-Argonne, ils convergent vers l’église où les attendent les infirmiers du 110th Infantry Regiment dont un jeune Kansasais de 22 ans, Alfred Hayes. Dans les jours qui suivent le déclenchement de l’attaque, les artilleries allemandes et alliées vont se livrer un duel sans merci et pilonner la vallée de l’Aire et ses villages, Neuvilly-en-Argonne ne sera pas épargnée.

Eglise de Neuvilly-en-Argonne

Poste de secours américain dans l’église de Neuvilly-en-Argonne – Collection E.M.

D’abord lente, la progression des troupes franco-américaine s’accélèrent après la prise de certains points de résistance, comme Montfaucon-d’Argonne. Cette avancée massive des troupes combattantes vers le nord et les Ardennes, va obliger le commandement à revoir complètement son organisation de l’arrière et surtout à redéployer les unités d’intendances et médicales plus en avant. Fin octobre les infirmiers du 110th Infantry Regiment quittent Neuvilly-en-Argonne et Alfred Hayes décide d’emporter un souvenir de ce petit village Argonnais. Il empaquette dans son barda les restes d’un crucifix qu’il a trouvé qu’il a trouvé dans l’église avant de suivre ses camarades vers le nord. Après la guerre, il embarque pour les États-Unis avec ce petit fragment du mobilier religieux d’Argonne.

A la mort de l’ancien combattant, sa fille hérite du crucifix et le transmettra elle-même à sa fille, Patricia Carson. C’est ainsi que pendant près d’un siècle, la famille d’Alfred Hayes va conserver ce petit morceau du patrimoine Argonnais, mais à l’approche du Centenaire de la Grande Guerre, la descendante du Sammies a souhaité le restituer.

Avant d’être restitué, le crucifix a été examiné par Monsieur Janvier, conservateur des antiquités et objets d’art qui a conclut qu’il s’agissait initialement d’une croix d’autel en laiton probablement fondue au XVIIIème siècle.

Neuvilly-en-Argonne Croix - E.M.

Crucifix récupéré par Alfred Hayes dans l’église de Neuvilly-en-Argonne – Photographie E.M.

La croix sera finalement rendu à la commune de Neuvilly-en-Argonne lors d’une cérémonie le 23 juin 2013. Aujourd’hui elle est exposé dans une petite niche à droite de l’autel.

Coordonnées G.P.S. de l’église : N 49° 09′ 41,0 » – E 005° 03′ 34,4″

Un mort bien bavard

Si la signature de l’armistice du 11 novembre 1918, marque la fin des combats, il faudra plusieurs mois pour que l’Europe prenne conscience des pertes humaines et matérielles colossales qu’ont causées ces quatre années de guerre.

Dès la fin de 1918, la France commence à reconstruire ses villages, ses villes et les familles commencent le deuil de leurs proches tombés au champ d’honneur. Un peu partout des monuments et des cénotaphes sont érigés pour rappeler la mémoire d’un disparu ou l’héroïsme d’un groupe d’hommes. L’Argonne n’échappe à cette règle, lorsque le Comité Commémoratif d’Argonne, sous l’impulsion de sa présidente la Comtesse de Martimprey, inaugure le 30 juillet 1922, l’Ossuaire de la Haute Chevauchée. L’obélisque de pierre se dresse sur les lieux même où son mari, le Capitaine Jean de Martimprey, a disparu le 13 juillet 1915. Depuis ce monument regroupe dans sa crypte les ossements de tous les corps non identifiés, qui ont été retrouvés sur le champ de bataille Argonnais. Non loin de l’Ossuaire, dans le fond du ravin des Meurissons, une petite stèle au bord d’un sentier, rappelle le sacrifice d’un jeune officier du 46ème Régiment d’Infanterie.

Stèle Monnier - Mikaël EMBRY large

Stèle du Lieutenant Monnier au fond du ravin des Meurissons – Photographie E.M.

C’est le 8 juin 1891 que Pierre Alfred Rodolphe Frédéric Monnier voit le jour au 45 de la rue de Lisbonne dans le 8ème Arrondissement de Paris. Son père, Louis Nicolas Frédéric, était propriétaire et sa mère, Cécile Charlotte Thuret, ne travaillait pas. Le jeune homme descend d’une longue et grande lignée de militaires, parmi lesquels le Maréchal Molitor et le Maréchal Ney. Pierre Monnier est un élève brillant et après être passé sur les bancs de l’École des Roches à Verneuil-sur-Avre, il continue ses études en intégrant la Faculté de Droits de l’École des Hautes Études Commerciale de Paris.

Dans les années 1910, il est appelé pour son service militaire, qu’il n’a pas terminé lorsque la guerre éclate. Pierre Monnier est alors Sous-lieutenant au 46ème Régiment d’Infanterie. Le 6 août 1914, il quitte sa caserne de Fontainebleau avec les premiers contingents pour se diriger vers la frontière belge.

Lieutenant Monnier

Pierre Monnier en uniforme du 46° R.I.

D’abord engagé en Belgique, le régiment de la Tour d’Auvergne doit rapidement se replier vers le sud par la vallée de la Meuse. Il oblique ensuite vers l’ouest pour se battre aux portes de l’Argonne. Au cours des combats qui ont lieu dans les environs de Fossé, le Sous-Lieutenant est blessé d’une balle à l’épaule. Évacué vers Paris pour y être soigné, il continue cependant à écrire régulièrement à sa famille et plus particulièrement à sa mère dont il semble très proche.

Les lettres du Lieutenant Monnier – 1ère partie
Les lettres du Lieutenant Monnier – 2ème partie

Une fois soigné, Pierre Monnier rejoint son unité en Argonne avec le grade de Lieutenant. Depuis fin octobre 1914, le 46ème Régiment d’Infanterie combat dans la vallée de l’Aire où il tente de progresser vers Vauquois et sa Butte tant convoitée. Ce secteur est difficile et aux pertes causées par les obus et des balles, il faut ajouter les ravages des maladies, comme le rappelle cette note administrative.

« Le 8 novembre 1914,

Les III° et IV° Armées sont les plus frappées par la fièvre typhoïde. »

J.M.O. de la Direction Générale du Service de Santé du Groupe des Armées d’Opérations – 26 N 212 – S.H.D.

Courant novembre la 10ème Division d’Infanterie glisse vers l’ouest et le 46ème Régiment d’Infanterie occupe désormais des tranchées situées entre le plateau de Bolante et le ravin des Meurissons. Ces nouvelles positions sont sommaires et très mal organisées, ce qui oblige les hommes du jeune officier à effectuer des travaux alors qu’ils subissent les assauts répétés de l’ennemi.

 » Le 5 décembre,

Temps affreux ! Heureusement notre abri continue à résister. Hier nous avons été bombardés. Je voudrais pouvoir me promener librement dans cette belle forêt ! Mes hommes travaillent aux boyaux de communication, aux tranchées, et servent les mortiers. On ne peut guère se rendre compte de visu des résultats obtenus, car sitôt qu’on montre la tête on est salué abondamment et à des distances variant de 30 à 100 mètres les balles n’ont rien d’agréable à recevoir. Nos patrouilles produisent quelques résultats, mais pour faire vraiment bien dans ces bois, il faudrait des Hindous. Le bruit qu’on fait dans les feuilles mortes et les branches rend les surprises très difficiles. Sauf coup de veine, celui qui attaque est à peu près sûr d’échouer et de subir de grosses pertes. »

Lettres du Lieutenant Monnier – Jean des Vignes Rouges
argonne1418.com

Pour les défenseurs de l’Argonne c’est le premier Noël loin des leurs et après cinq mois de combat, ils commencent avoir le mal du pays. Le Lieutenant Monnier profite de la fin de l’année 1914 pour écrire à sa mère.

« 1er janvier 1915,

Maman chérie,

Nous voici en 1915 ! Que nous réserve cette nouvelle année à tous les points de vue. Ce nouveau jour s’est levé comme les autres, dans l’humidité et dans la boue, et rien d’anormal n’est venu inaugurer l’année. Je ne sais s’il en est de même pour vous, mais il me semble que nous sommes dans une autre vie. Ce qui s’est passé avant le mois d’octobre est tellement différent, tellement étranger à ce qui nous entoure à présent qu’on croit l’avoir rêvé. On s’étonne de pouvoir comprendre certains mots, de réaliser certains actes qui ne correspondent plus à rien pour nous. L’humanité qui nous entoure est terre à terre (sans jeu de mots). On pense à manger, à dormir, à être autant que possible au chaud et au sec, à ne pas recevoir de mauvais coups mais à en donner à ceux qui sont devant nous. Ce n’est plus de la vie, c’est de l’animalité, où l’instinct irréfléchi a remplacé l’intelligence. Alors on est tout surpris quand, la conversation ayant dévié sur un mot, on se trouve avoir discuté pendant une heure, art, musique ou philosophie. Et puis, brusquement on retombe dans l’âge de pierre. »

Lettres du Lieutenant Monnier – Jean des Vignes Rouges
argonne1418.com

Malgré la fin d’année, les esprits ne sont pas à la fête dans les tranchées ! Les hommes sont constamment sur leur garde, à tout moment une mine peut emporter leur tranchée et les bombardements quasi quotidiens entretiennent un état de stress permanent.

Le 7 janvier 1915 vers 8h45, l’ennemi fait jouer une mine sous les tranchées du 46ème Régiment d’Infanterie et profite de la cohue causée par l’explosion pour lancer son assaut. Rapidement c’est toute la Haute Chevauchée qui s’embrase et malgré une résistance acharnée, les soldats de la Tour d’Auvergne ne parviennent pas à repousser les allemands qui pénètrent dans les positions du 1er Bataillon. Tout redevient calme à la fin de la journée et le Lieutenant Monnier en profite pour écrire à sa mère.

« 7 janvier au soir,

Chère Maman,

Nous avons été attaqués ce matin très violemment vers 8 heures 1/2, c’est ce qui m’a empêché de t’écrire. Les Boches ont fait sauter une de nos tranchées ; heureusement, les hommes ont très bien tenu, et se sont repliés dans la deuxième ligne à 10 mètres en arrière. L’affaire a été très chaude et nous a coûté cher. Nous avons 3 officiers blessés sans compter notre divisionnaire le général G.* qui a reçu une balle dans l’épaule. Blessure légère, heureusement. Les Allemands ont, de leur côté, perdu beaucoup de monde, et j’ai vu passer quelques prisonniers. J’ai été très occupé naturellement. Il a toujours fait un temps affreux, et pour comble de guigne une inondation s’est produite dans mon gourbi où j’ai maintenant 20 centimètres d’eau; ma paille est trempée.

Au revoir ma chère Maman. J’espère que la journée de demain sera plus tranquille.
Mille bons baisers,

Ton Pierre. »

Lettres du Lieutenant Monnier – Jean des Vignes Rouges
argonne1418.com

 * N.D.A. : Le Général Gouraud effectuait une reconnaissance dans ce secteur. Blessé par balle à l’épaule, il refusera l’évacuation et conservera son commandement.

L’affaire aurait pu en rester là, mais c’était sans compter sur l’acharnement des Allemands qui souhaitent percer le front d’Argonne pour rejoindre leurs camarades du Saillant de Saint-Mihiel et ainsi encercler Verdun. Le lendemain, les artilleurs ennemis déclenchent leur feu vers 8h00 et pilonnent sans relâche les tranchées du secteur de la Haute Chevauché. Une heure plus tard, la préparation cesse et l’infanterie allemande entre en action et parvient à progresser rapidement. Pour le 46ème Régiment d’Infanterie la situation devient très délicate, les pertes s’accumulent et la grande majorité des officiers du régiment ont été tués ou blessés. Plusieurs autres régiments arrivent en renfort, dont les hommes de Garibaldi, mais les soldats de la Tour d’Auvergne ne veulent pas céder et la résistance s’organise.

« C’est alors que l’on vit cet acte sublime qui ne sera jamais enregistré dans l’Histoire, mais que les survivants pourront justifier : les blessés refusant d’abandonner leurs camarades en continuant le coup de feu.

Ils s’organisent dans leur trou. Après un pansement sommaire, les blessés, accroupis, chargeaient leurs propres armes et celles des morts, puis les repassaient sans répit aux défenseurs.

Il était temps, car les fusils de ceux-ci commençaient à chauffer. Ce geste de fraternité devant la mort contribua beaucoup à sauver la situation. Ce feu nourri et sans à coup pouvait laisser croire à une quantité d’hommes beaucoup plus forte.

Malheureusement, les cartouchières des vivants et des morts seront bientôt vides de leur contenu et ces mots :

« Plus de cartouches !… » Courent lugubrement sur toute la ligne comme un glas avertisseur de l’irréparable.

Le Capitaine Courtès envoie trois ou quatre hommes jusqu’à l’abri à munitions où nous nous croyions encore en sûreté quelques heures auparavant.

Si les Allemands profitent de ce moment pour se ressaisir, c’en est fait du sort de ces braves. »

L’épopée Garibaldienne – H.J. Hardouin
Sergent du 46ème R.I. – Éditions R. Debresse – 1939

Cette journée de combat a pratiquement anéanti le 46ème Régiment d’Infanterie, qui est réduit à un petit groupe commandés par le Capitaine Courtès, l’officier le plus gradé en état de combattre..

« 8 janvier 1915 :

A la fin de la journée, le 46° R.I est réduit à la 11° Compagnie et à quelques éléments épars qui porte le total de l’effectif prenant part à l’action à 136 hommes. »

J.M.O. du 46ème R.I. – 26 N 6361 – S.H.D.

Les combats vont encore durer une journée pour les survivants du 46ème Régiment d’Infanterie, qui seront finalement relevés le 9 janvier dans la nuit. Arrivée dans les abris de Pierre Croisée, les hommes peuvent enfin prendre un peu de repos et constater l’ampleur des pertes.

« 9 janvier 1915 :

Les pertes pendant ces trois jours de combat sont de 1600 environ tués, blessés ou disparus. »

J.M.O. du 46ème R.I. – 26 N 6361 – S.H.D.

Dans sa lettre du 7 janvier 1915, Pierre Monnier adressait un « au revoir » à sa « chère Maman ». Celui-ci semble être prémonitoire, puisque le jeune officier fait partie des nombreux gradés du 46ème Régiment d’Infanterie tués au cours de ces trois jours de combats.

« État des pertes du 46ème Régiment d’Infanterie :

7 janvier 1915 :

Lieutenant Schoell, tué. Capitaine Cuvillier, Fleury, Sous-Lieutenant Latapie blessés.

8 janvier 1915 :

Tués : Commandant Darc, Capitaine Demeunynek, Lieutenant Monnier.

Blessés : Lieutenant-Colonel Roller, Médecin Major de 1° Classe Gerboux, Lieutenant Colin, Lieutenant Visconti, Lieutenant Rabate (doit être prisonnier), Commandant Peyronnet.

Disparus : Commandant Guinard, Capitaine Faucher, Capitaine Tortochat, Capitaine Salmon, Lieutenant Caze, Sous-Lieutenant Terral, Sous-Lieutenant Cretenet, Sous-Lieutenant Hardillier, Sous-Lieutenant Talabat, Sous-Lieutenant Martin, Sous-Lieutenant Lonbens, Sous-Lieutenant Girois, Sous-Lieutenant Geran. »

J.M.O. du 46ème R.I. – 26 N 6361 – S.H.D.

La ténacité des soldats du 46ème Régiment d’Infanterie pendant cette attaque allemande, prouve qu’ils sont bien les dignes héritiers du Capitaine Théophile-Malo de La Tour d’Auvergne-Corret et de ses dernières paroles lors de la bataille de Hohenlinden en 1800.

« Je meurs content, j’ai toujours rêvé de finir ainsi ma carrière. »

Le Lieutenant Monnier sera d’abord inhumé au Claon avant que son corps ne soit transféré vers un autre cimetière après la guerre.

Première fiche « Mort pour la France » du Lieutenant Monnier
Seconde fiche « Mort pour la France » du Lieutenant Monnier

Déjà cité à l’ordre de la IIIème Armée en août 1914, le jeune officier l’est de nouveau par le 46ème Régiment d’Infanterie en janvier 1915 et enfin par la IVème Armée en août 1915. Ces trois citations lui ont valu d’être décoré de la Croix de Guerre 1914-1918 à titre posthume et plus tard d’être élevé au rang de Chevalier de la Légion d’Honneur. Il sera également inscrit dans le Livre d’Or de la Faculté de Droits de Paris et dans celui de l’École des Roches.

« Prit une part glorieuse aux combats sous Verdun. Gravement blessé au cours d’une charge à la baïonnette, ne consentit à quitter le combat qu’après la réussite de cette attaque. Revenu sur le front à peine guéri, se distingua de nouveau le 8 janvier 1915, fut atteint d’une balle au cœur, en défendant héroïquement le P.C. de son Colonel blessé. »

« Officier rempli d’allant et de bravoure. Le 8 janvier 1915, au cours d’une attaque allemande qui était parvenue jusqu’au poste de commandement de son Colonel, s’est élancé sur l’assaillant à la tête de quelques braves; est tombé glorieusement au cours de l’action. A été cité. »

Citations du Lieutenant Monnier

L’histoire de ce jeune officier aurait pu s’arrêter après son décès, mais il fera à nouveau parler de lui peu après la guerre,

Haute Chevauchée - Monnier plan court

Stèle en mémoire du Lieutenant Monnier – Photographie E.M.

En 1920, sa mère Cécile Monnier publie un livre intitulé « Je suis vivant : lettres de Pierre, soldat de France, soldat du Christ », dans lequel elle affirme avoir retranscrit des messages que le jeune militaire lui aurait envoyé par psychographie. La première communication aurait eu lieu le 5 août 1918, soit plus de trois ans après le décès du jeune officier et elles s’arrêteront le 19 janvier 1937. Au cours de cette période, Cécile Monnier publiera plusieurs livres regroupant les idées théologiques transmises par son fils.

Un Caporal au patronyme célèbre

Le 1° août 1914, la France décrète la mobilisation générale et en un peu plus de dix jours, ce sont près de trois millions d’hommes qui vont rejoindre les casernes. Une fois les régiments formés, ils se dirigent vers les frontières belges et allemandes. Les premières victoires en Lorraine rassurent le haut commandement français, qui croit toujours à une guerre rapide à l’issue favorable. Très vite les choses changent et les défaites s’accumulent un peu partout sur le front, obligeant les armées à battre en retraite. L’ennemi de toujours, l’allemand, pénètre sur le territoire national et repousse les forces tricolores vers le sud et Paris.

Ce repli massif va ébranler le moral des troupes et dans les colonnes, les soldats commencent à s’insurger contre ceux âge de combattre et qui sont encore à l’arrière. Le phénomène va s’aggraver avec l’enlisement du conflit et la stabilisation du front, les soldats ne tardent pas à parler de « planqués » pour désigner ces nantis, ces notables ou ces aristocrates qui profitent de leurs relations pour ne pas aller au feu ou pour occuper des postes dans des unités non combattantes ou des états-majors loin à l’arrière. Cette haine des planqués va conduire les Poilus à dénigrer un corps militaire en particulier, la prévôté. Bon nombre d’entre eux pensent que les gendarmes sont tout juste bon à placarder des affiches, à chasser les déserteurs ou à leur causer des problèmes. En réalité beaucoup de prévôtaux se ont quitté leurs fonctions, au début de la Grande Guerre pour rejoindre des unités combattantes et la Gendarmerie, comme les autres corps militaires, subira de lourdes pertes.

Malgré ces quelques cas et les rumeurs qui ont circulé dans les tranchées, comment oublier le sacrifice du Lieutenant Robert de Courson de la Villeneuve ou celui du Soldat Collignon. Le premier était haut fonctionnaire et le second appartenait à une vieille famille noble et pourtant tous les deux ont été tués au cours des premiers mois de guerre en Argonne. Ces cas se trouvent sur toute la ligne de front et prouvent l’engagement massif des français et ce quelque soit leur classe sociale.

En quittant Vienne-le-Château en direction de Servon-Melzicourt, un alignement de trois cénotaphes se dessine le long de la route départementale n°266. Ils honorent la mémoire de trois sous-officiers et d’un Caporal. Le premier est dédié à Marcel Paul Etienne Karcher, Sergent du 3° Régiment du Génie, tué le 5 janvier 1915. Le dernier est quant à lui consacré à deux hommes du 91° Régiment d’Infanterie, le Sergent Philippe Gustave Victor Joseph Jacquemard et le Sergent Major Maurice Vital Coucke. Ils sont tombés ensemble le 28 septembre 1914 dans les combats autour de Servon.

Citroën plan large - E.M.

Deux cénotaphes au bord de la R.D. 266

La dernière stèle porte cette inscription :

Pieux souvenir
A la
mémoire
de
BERNARD CITROEN
Caporal
Au 51 Régiment d’Infanterie
Tué à l’ennemi
Dans ce voisinage
Le 9 octobre 1914
A l’age de 39 ans

Citroën plan serré - E.M.

Stèle en mémoire du Caporal Bernard Citroën

Coordonnée G.P.S. : N 49° 12′ 16,9″ – E 004° 53′ 03,4″

Fils du diamantaire néerlandais Lévie Citroën, immigré en France en 1873 et de Masza Kleinmann, une polonaise originaire de Varsovie, Bernard voit le jour le 21 juillet 1875 à Paris. Avec ses deux frères cadets, Hugues et André, il vit paisiblement dans le 9° Arrondissement de Paris. Le 16 septembre 1884, son père se suicide après avoir fait un mauvais investissement financier et c’est son épouse, Masza, qui reprend l’affaire familiale et assure la survie de la fratrie Citroën. Au cours de leur enfance, Bernard et André deviennent très proches, même le premier se passionne pour les arts et la musique et le second se tourne plutôt vers les sciences et l’ingénierie.

En octobre 1898, André entre à l’École Polytechnique et deux ans plus tard, au cours de vacances dans sa famille polonaise, il découvre un système engrenage innovant. Il décide alors d’en racheter la licence de fabrication aux russes, mais ce n’est qu’après avoir terminé sa dernière année d’étude et les deux ans de service militaire obligatoire, qu’il peut enfin commencer sa carrière d’industriel en travaillant sur les engrenages à chevrons. Pendant ce temps, Bernard fréquente les soirées mondaines et les milieux artistiques parisiens.

André Citroën

André Citroën en tenue d’élève de l’École Polytechnique

Les deux frères finissent par s’installer ensemble dans un appartement au 21, Rue d’Aumale à Paris et André convint son aîné de travailler avec lui dans l’industrie. En 1904, ils déposent un brevet sur le perfectionnement des montages et fermetures des vêtements de fourrure, mais le monde industriel n’est pas fait pour Bernard, qui va rapidement revenir à sa première passion. Il ouvrira, un peu avant la guerre, le Sans-Souci, un « thé dancing » dans la Rue de Caumartin à Paris.

Le 1° août 1914, Hugues, André et Bernard sont mobilisés et bien qu’ayant des racines néerlandaises, ils sont honorés de pouvoir défendre la France. Les deux cadets intègrent la même unité d’artillerie, mais Bernard est réformé à cause de son asthme. Il décide malgré tout de s’engager volontairement et il rejoint finalement le 51° Régiment d’Infanterie avec le grade de Caporal. Le hasard a voulu que les trois Citroën se retrouvent réunis au sein de la IV° Armée du Général Langle de Cary.

D’abord engagé dans les Ardennes belges, 51° Régiment d’Infanterie finit par se replier vers le Nord Meusien et continue sa retraite jusqu’à Possesse. Après la première bataille de la Marne, le régiment repousse les allemands jusqu’à la ligne Vienne-le-Château – Servon-Melzicourt et pendant plusieurs semaines, Bernard va se battre en Argonne.

Le 5 octobre 1914, une partie des soldats du 51° Régiment d’Infanterie se trouvent au Rond Champ, à la Placardelle, à la Renarde et à la Seigneurie pendant que d’autres organisent des tranchées dans le secteur. L’unité quitte ses cantonnements le lendemain, vers 20h00, pour relever le 91° Régiment d’Infanterie. Le 3° Bataillon se place en réserve à Vienne-le-Château et les 1° et le 2° Bataillons profitent de la nuit pour se déployer entre la Côte 176 et la route de Servon. Le 7 octobre les soldats sont occupés à améliorer leurs positions lorsqu’en fin d’après-midi l’infanterie ennemies déclenchent son assaut. Repoussés, ils recommencent le lendemain et blesse mortellement un officier du régiment, mais sans parvenir à pénétrer dans les tranchées françaises.

Le 9 octobre 1914, les hommes du 51° Régiment d’Infanterie continuent leurs travaux et subissent des jets de pétards et de grenades dans la journée. Le Caporal Bernard Citroën est tué au cours de cette journée.

Fiche  » Mort pour la France « 

Après son décès, Bernard sera décoré de la Médaille Militaire et de la Croix de Guerre avec palme, grâce à une citation à l’ordre de la IV° Armée :

« Citroën Bernard, Caporal au 51ème d’Infanterie, Engagé pour la durée de la guerre à l’âge de 39 ans, quoique réformé antérieurement, a demandé à venir sur le front dans un régiment actif. S’est toujours fait remarquer par son entrain, son dévouement et sa bravoure. A été tué le 9 octobre 1914 en allant porter secours à un de ses hommes blessé en avant des tranchées. »

André est informé du décès de Bernard le 15 octobre 1914 et il fera érigé cette stèle après la guerre.

Deux frères réunis dans la mort

A la fin de la Grande Guerre, les Américains sont venus en Argonne pour participer à l’offensive franco-américaine Meuse-Argonne. Celle-ci devait permettre de percer les lignes allemandes et de relancer la guerre de mouvement.

Les États-Unis basculent officiellement dans le conflit, le 6 avril 1917 lorsque le Président Wilson déclare la guerre à l’Allemagne. Malgré cette décision tardive, des Américains prenaient déjà part aux combats en Europe. Ils s’étaient engagés volontairement dans les rangs de la Légion Étrangère ou au sein de l’Escadrille Lafayette pour se battre aux côtés des Français et des Anglais.

Le pays dispose bien du Corps des Marines, mais celui-ci ne compte que quelques milliers d’hommes qui ne seront pas suffisant. Une grande campagne d’enrôlement est alors lancé à travers les États-Unis pour recruter un maximum d’hommes souhaitant se battre. Les 7500 premiers Sammies débarquent en France le 12 novembre 1917, mais ils ne sont pas formés. Ils sont d’abord envoyé dans des camps d’entraînement où des militaires français et anglais leurs apprennent le métier de soldats. Avec cette arrivée massive de soldats américains sur le sol européen, certains membres d’une même famille se retrouvent.

Soldats Américains en Argonne - E.M.

Groupe de Soldats Américains en Argonne – Collection E.M.

Le jeune Coleman Tileston Clark quitte sa ville natale de Yonkers dans l’état de New-York pour rejoindre l’Europe. Il débarque à Bordeaux le 9 mai 1916 et il arrive à Paris deux jours plus tard pour s’engager volontairement dans la Légion Étrangère. Il participe aux combats de Verdun et du Bois le Prêtre avant de rejoindre Marseille avec son régiment le 15 octobre 1916. Six jours plus tard, il embarque pour Salonique où il combattra jusqu’en août 1917. De retour en France, l’armée lui propose de rejoindre les unités américaines, mais il choisit de continuer au sein de la Légion Étrangère. Le 27 septembre 1917, il entre à l’École d’Artillerie de Fontainebleau où il suit quatre mois de cours. A sa sortie, il est nommé Aspirant et il rejoint, le 14 février 1918, le 28° Régiment d’Artillerie de Campagne sur le front de l’Aisne. Le 28 mai, l’Aspirant Clark est grièvement blessé alors qu’il se trouve dans le secteur de Juvigny. Il est évacué sur l’Hôpital d’Évacuation 51 B d’Ambleny où il décède le lendemain des suites de ses blessures.

Voici la fiche « Mort pour la France de Coleman Tileston Clark

Le frère de l’Aspirant Coleman Clark, s’est également battu en Europe pendant la Grande Guerre. Salter Clark s’est engagé dans l’armée américaine au début de l’année 1918. En mai 1918, il quitte New-York et après un passage par Liverpool, il débarque en France le 2 juin. Pendant deux mois et demi, il stationne avec d’autres Sammies dans un camp du Pas-de-Calais, où il est entraîné par des militaires britanniques. Début septembre 1918, Salter et ses camarades du 311° Infantry Regiment sont équipés pour partir au combat. Ils rejoignent le front et combattent dans le secteur du saillant de Saint-Mihiel. Depuis octobre 1918, l’unité est dirigée vers l’Argonne pour participer aux combats autour de Grandpré. Le 19 octobre, le 311° Infantry Regiment attaque la ferme des Grêves et Salter est tué au cours de ces combats.

Salter Clark ne dispose pas de fiche de décès au Service Historique de la Défense, puisqu’il est mort au sein des armées américaines.

Vue générale de l'American Cemetery - E.M.

L’American Cemetery Meuse-Argonne peu de temps après sa création – Collection E.M.

Après la guerre, les corps des deux frères seront transférés à l’American Cemetery Meuse-Argonne de Romagne-sous-Montfaucon, où ils reposent toujours côte à côte dans le carré G à la rangée 1.

Coordonnées G.P.S. : N 49° 19′ 55,4″ – E 005° 05′ 35,6″

Frères Clarck gros plan - E.M.

Tombe des deux frères Clark – American Cemetery Meuse-Argonne – Photographie E.M.

La famille Clark rendra hommage à ses combattants en 1919, en publiant un livre. Ecrit par Salter Storrs Clark et Caroline G. Clarken vous pouvez le découvrir (attention livre en anglais) ici.

L’Argonne à l’heure 14:18 tiens à remercier Monsieur J. MARIE, Président du Comité du Souvenir Français du canton de Dun-sur-Meuse pour avoir partagé ses informations sur les frères Clark. Signalons également que Monsieur MARIE est toujours à la recherche de la descendance des deux frères Clark.

L’Arbre Sanglant

De nos jours, l’Argonne est surtout connue pour être une vaste massif forestier traversé par trois rivières, l’Aisne à l’Ouest, l’Aire à l’Est et la Biesme en son centre.

 Au début de la Grande Guerre, la forêt n’étant pas propice aux manœuvres de la guerre de mouvement, les armées françaises et allemandes vont soigneusement contournées le massif par les vallées de l’Aisne et de l’Aire. Fin septembre 1914, avec la stabilisation du front, elles vont rapidement devoir effectuer la liaison avec les unités défendant la plaine de Champagne, en traversant les bois et les ravins. C’est ainsi que pendant les quatre ans, les soldats se battront en plein cœur d’une région accidentée et humide.

Vienne avant guerre

Vienne-le-Château avant la guerre – Collection E.M.

Au fil des mois, les obus français et allemands vont décimer la forêt, mais les premiers combats ont lieux au beau milieu des arbres. Les combattants manœuvrant déjà sur un terrain difficile, sont en plus confrontés à des problèmes d’orientation. Dans de telles conditions, comment savoir où se trouve l’ennemi? Cette végétation perturbe également les artilleurs, dont les projectiles doivent d’abord traverser la canopée avant d’atteindre le sol,  rendant quasiment impossible le réglage précis des pièces. Pour espérer toucher leurs cibles, ils multiplient les tirs, mais parfois l’un d’eux rebondit à la cime d’un arbre avant de s’écraser au sol.

Le 11 décembre 1914, le 128° Régiment d’Infanterie, qui est cantonné à Moiremont (1° et 3° Bataillons) et à Chaudefontaine (2° Bataillon) depuis le 9, reçoit l’ordre de relever le 72° Régiment d’Infanterie au Nord de Vienne-le-Château. Pour rejoindre ses positions combats, la 6° Compagnie traverse le parc de l’ancienne Hostellerie d’Argonne, mais en arrivant à proximité du bâtiment :

« Un obus de 105 est tombé sur la 6° Compagnie, formée en colonne de compagnie, à Vienne-le-Château, près du coteau de Saint-Thomas. Il nous tue 1 Adjudant, 18 soldats, en blesse 44. Le Lieutenant BOUCLE est blessé d’un éclat. »


Extrait du Journal des Marches et Opérations du 128° Régiment d’Infanterie

Service Historique de la Défense – 26 N 686/6

Hostellerie Argonne

Cagnas français dans le parc de l’Hostellerie d’Argonne – Collection E.M.

Les corps déchiquetés des soldats Samariens sont projetés dans un arbre du parc. Ce Tulipier de Virginie (ou du Japon selon les sources) est depuis lors surnommé l’Arbre Sanglant.

 Coordonnées G.P.S. : N 49° 11′ 28,8″ – E 004° 53′ 06,8″

Vienne-le-Château blog

L’Arbre Sanglant aujourd’hui – Photographie E.M.

Les fusillés oubliés

Au cours de la Grande Guerre, presque toutes les nations ont fusillées des soldats. On estime aujourd’hui que les armées françaises ont passées par les armes près de 650 militaires pour des motifs allant du refus d’obéissance au crime. En Argonne, plusieurs dizaines d’exécutions ont été recensés et la grande majorité de ces condamnés reposent encore dans la région. Généralement inhumés non loin des lieux de leur mise à mort, leurs dépouilles ont été transférées vers les Nécropoles Nationales à la fin du conflit, les rendant de ce fait anonyme au milieu des milliers d’autres tombes.

Il y a cependant quelques exceptions, comme c’est le cas à Florent-en-Argonne. Au fond du petit cimetière de la commune, un groupe de trois sépultures se distingue parmi les caveaux familiaux.

Coordonnées G.P.S. : N 49° 08′ 13,9″ – E 004° 57′ 16,1″

Florent-en-Argonne blog

Tombes des trois fusillés de Florent-en-Argonne

Il s’agit des tombes de trois soldats fusillés entre décembre 1914 et décembre 1915. Voici les informations concernant ces trois combattants :

SEVERIN Maurice est le fils de SEVERIN François Édouard et MANSEAUX Palmyre Irma. Il voit le jour à Francheval dans les Ardennes le 11 mars 1881. Avant la guerre, il était employé de commerce à Paris.
Au moment de sa condamnation, il appartenait à la 11° Compagnie du 147° Régiment d’Infanterie et avait le grade de Soldat.
Il est jugé le 23 octobre 1914 par le Conseil de Guerre Spécial du 147° Régiment d’Infanterie à Florent-en-Argonne, qui le condamne à la peine capitale pour abandon de poste en présence de l’ennemi et mutilation volontaire.
Il est exécuté le 24 octobre 1914 à Florent-en-Argonne.

Fiche de décès du Soldat SEVERIN Maurice
Dossier de procédure du Soldat SEVERIN Maurice

SEVERIN blog

Tombe du Soldat SEVERIN Maurice

 BENOIT Louis est né 6 décembre 1880 à Salviac dans le Lot, il est le fils de BENOIT Jean et de VERGNOLLES Marie. Avant la guerre, il était cultivateur vivait toujours dans son village natal.
Avant son exécution, il était Soldat de 2° Classe et appartenait à la 10° Compagnie du 7° Régiment d’Infanterie.
Jugé le 2 octobre 1915, par le Conseil de Guerre de la 131° Division d’Infanterie à Florent-en-Argonne, il est condamné à mort pour avoir refusé d’obéir en présence de l’ennemi.
Deux jours plus tard, le Soldat BENOIT est passé par les armes à Florent-en-Argonne.

 Fiche de décès du Soldat BENOIT Louis
Minutes du procès du Soldat BENOIT Louis
Dossier de procédure du Soldat BENOIT Louis

BENOIT-blog

Tombe du Soldat BENOIT Louis

 PAISANT Marcel est né le 9 août 1895 à Cherbourg dans la Manche. Fils de PAISANT Victor Alexandre et de FOURNAGE Victorine Françoise Euphrasie, il était journalier à Cherbourg avant la guerre. Soldat de 2° Classe, il appartenait à la 21° Compagnie du 270° Régiment d’Infanterie avant son jugement.
Le 20 décembre 1915, il comparait devant le Conseil de Guerre de la 19° Division d’Infanterie avec un de ses camarades, le soldat PECOT Raymond. Ils sont d’abord condamné à mort tous les deux, mais la sentence du Soldat PECOT Raymond sera commuée en une peine dix ans d’emprisonnement.
Le Soldat PAISANT est quant à lui exécuté le 21 décembre 1915 à Florent-en-Argonne pour avoir abandonné son poste en présence de l’ennemi.

Fiche de décès du Soldat PAISANT Marcel
Minutes du procès du Soldat PAISANT Marcel
Dossier de procédure du Soldat PAISANT Marcel

PAISANT blog

Tombe du Soldat PAISANT Marcel

 L’Argonne à l’heure 14:18 vous proposera, dans quelques temps, un état des hommes qui ont été fusillés en Argonne, en attendant si vous voulez avoir plus d’informations sur ce sujet, rendez-vous à l’Office de Tourisme du Pays d’Argonne (Clermont-en-Argonne) pour visiter l’exposition de L’Argonne à l’heure 19 :15 jusqu’à la fin de l’année 2015.

Un ancien préfet s’en va en guerre

Fils de Charles Paul et de Breard Émilie Aimée Charlotte, Henri Paul François Marie Collignon est né le 2 octobre 1856 à Caudéran en Gironde. Diplômé en droits, il occupe dans un premier temps des postes au sein de plusieurs cabinets préfectoraux, avant de devenir à son tour Préfet de la Corrèze.

Portrait Collignon

Portrait d’Henri Collignon – Collection privée

Le 21 décembre 1895, Henri Collignon est fait Chevalier de la Légion d’Honneur et continue sa brillante carrière de haut fonctionnaire. En 1906, il quitte ses fonctions de Préfet du Finistère pour se mettre en disponibilité. Pendant plusieurs années, il se consacre entièrement à ses livres et refuse tous les postes qui lui sont proposés. Il ne reprend sa carrière qu’en 1912, en devenant d’abord Conseiller Municipal de la ville de Saint-Georges-de-Didonne, avant d’être rappelé par le Président Armand Fallières pour devenir Secrétaire Général de la Présidence de la République Française à l’Élysée. L’année suivante, Raymond Poincaré est élu Président et Henri Collignon conserve son poste quelques mois avant de devenir Conseiller d’État.

Le 1° août 1914, la France décrète la mobilisation générale, mais le Conseiller d’État Collignon qui est âgé de 58 ans, n’est pas appelé. Il tient cependant défendre son pays et décide de s’engager volontairement en se présentant le 6 août au Colonel Malleterre, commandant le 46° Régiment d’Infanterie pour rejoindre cette unité. L’officier lui explique qu’il est trop âgé pour être enrôlé, mais Henri Collignon insiste en rétorquant que ce problème a été réglé en haut lieu et qu’il dispose déjà de son équipement. Malleterre fini par accepter et propose les galons d’officier au haut fonctionnaire qui les refusent et demande a être intégré comme simple soldat. Malleterre le nomme Soldat de 1° Classe et lui assigne la fonction de porte-drapeau du régiment. Avant de laisser partir sa nouvelle recrue, le Colonel lui demande pourquoi avoir choisis son unité plutôt qu’une autre, Collignon lui réponds en souriant qu’il voulait servir dans l’unité de la Tour d’Auvergne.

Collignon retour de Vauquois  mars 1915

Après plusieurs jours de combat, le 46° Régiment d’Infanterie arrive à Aubréville en mars 1915, le Soldat Collignon porte fièrement les couleurs du régiment – Presse d’époque – Collection E.M.

Malgré son rang et suivant ses instructions, l’ancien Préfet ne dispose d’aucun traitement de faveur. Il rejoint le front à pied, en partageant la soupe et le gîte de la troupe.

Les autres soldats sont surpris par la volonté de ce vieil homme comme le relate l’un d’eux dans son livre :

« Nous allions péniblement et machinalement comme des moutons derrière leur berger. Seul un homme nous montrait l’exemple de l’endurance. Équipe à ses frais, donc flambant neuf, un Soldat de 2° Classe engagé volontaire à 58 ans, ancien conseiller d’État, Monsieur Collignon, nous inspirait courage et confiance. De forte corpulence, portant beau en dépit des années, nous le vénérions déjà sans le connaître. Sa belle barbe blanche et, surtout la croix de la légion d’honneur qui ornait sa poitrine nous inspirait le respect. »

Extrait de Avec les bleus du 1° grenadier de France

Henry Jacques Hardouin

En Argonne, le régiment de la Tour d’Auvergne est déployé dans les secteurs de la Haute Chevauchée et de Vauquois.

Vauquois pendant la guerre - E.M.

Vauquois pendant la guerre – Collection E.M.

Le 15 mars 1915, les soldats de l’unité se trouvent dans des abris au pied de la Butte de Vauquois. Au cours de la journée, un bombardement éclate sur le secteur en surprenant plusieurs hommes. L’un d’eux s’effondre et appelle ses camarades à l’aide, Henri Collignon l’entend et s’élance sous la pluie d’obus pour le secourir, mais un éclat le blesse mortellement.

Coordonnées G.P.S. : N 49° 12′ 12,8″ – E 005° 04′ 17,4″

Henri Collignon a deux fiches « Mort pour la France » :

Première fiche « Mort pour la France »
Deuxième fiche « Mort pour la France »

Inhumé le 18 mars 1915 dans le carré militaire du cimetière d’Aubréville, le corps d’Henri Collignon est transféré, après la guerre son corps, à la tombe 1396 de la Nécropole Nationale de Vauquois, où il repose encore aujourd’hui.

Pano NN Vauquois - E.M.

Panorama de la Nécropole Nationale de Vauquois – Photographie E.M.

Au pied de la Butte, une plaque rappelle son sacrifice.

Bâtiment sur lequel est apposé la plaque commémorant le sacrifice d’Henri Collignon – Photographie E.M.

Plaque rappelant le dévouement du Conseiller d’État Collignon – Photographie E.M.

Une stèle sera aussi installée au  bord de la route menant au sommet de la Butte de Vauquois pour rappeler la vie et le dévouement de ce Conseiller d’État de 58 ans, qui s’est engagé volontairement dans l’armée pour défendre son pays comme simple soldat.

Stèle Collignon

Stèle rappelant le dévouement du Conseiller d’État Henri Collignon – Photographie E.M.

Roland Garros, un aviateur abattu en Argonne

Eugène Adrien Roland Georges Garros est né le 6 octobre 1888 dans la Rue de l’Arsenal (rebaptisée depuis Rue Roland Garros) à Saint-Denis de la Réunion. Alors qu’il à quatre ans, son père Georges, décide de s’installer en Cochinchine pour ouvrir à Saïgon un cabinet d’avocat spécialisé dans les affaires commerciales. C’est sa mère qu est alors chargé de son éducation, mais en 1900 son père décide de l’envoyer en métropole afin qu’il poursuive ses études. Après un voyage de deux mois en bateau, il débarque à Marseille puis se rend à Paris, où il intègre le Collège Stanislas. Quelque temps après son entrée en métropole, il est foudroyé par une pneumonie et sans attendre l’avis de ses parents, la direction de l’établissement décide de l’envoyer à l’autre Collège Stanislas à Cannes. Au cours de ses études, Roland Garros devient champion inter-scolaire de cyclisme en 1906, sous le pseudonyme de Danlor et il mènera l’équipe de football du Lycée Masséna de Nice à la victoire. Il pratique aussi le tennis mais en simple amateur.

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Roland Garros aux commandes d’un avion

En 1908, il sort diplômé de l’École des Hautes Études Commerciales et se fait embaucher par la firme Automobiles Grégoire. Il devient concessionnaire de la marque en ouvrant un magasin de voiturettes de sport, au 6 avenue de la Grande Armée à Paris. Dans le même temps, il s’initie au sport automobile et à la mécanique. L’année suivante, il passe ses vacances d’été chez l’oncle de son ami Quellennec, à Sapicourt près de Reims. Le 22 août, il se rend à Bétheny pour La Grande Semaine d’Aviation de la Champagne et c’est une révélation pour lui. Après ce meeting, il décide de devenir de consacrer sa vie à l’aviation. En 1910, il investit les bénéfices fait avec son magasin d’automobiles, pour acheter son premier avion, une Demoiselle Santos-Dumont. Comme il n’existe pas encore d’école de pilotage, c’est tout seul qu’il apprendra à voler sur l’aérodrome d’Issy-les-Moulineaux. Il sera tout de même aidé par le suisse Edmond Audemars, un autre Demoiselliste, qu’il rencontre sur l’aérodrome. Le 14 juillet, il est engagé par le Comité Permanent des Fêtes de Cholet pour les cérémonies de la fête nationale et cinq jours plus tard, obtient son brevet de pilote le numéro 147.

Avec ce sésame en poche, Roland Garros peut participer aux nombreuses compétitions aériennes qui se déroulent en Europe et en Amérique, mais malgré ses indéniables qualités de pilote il n’en remporte aucune et les journalistes le surnomme ironiquement « L’éternel second ». Ce n’est qu’en 1912 qu’il décrochera enfin ses premières victoires en s’imposant sur le Circuit d’Anjou et le Meeting de Vienne. En plus des courses, le jeune aviateur établit de nombreux records d’altitudes en France et en Amérique, mais c’est le 23 septembre 1913 qu’il va réellement entrer dans l’histoire de l’aviation en s’élançant de Fréjus à bord d’un Morane-Saulnier de type H et en atterrissant à Tunis après avoir survolé toute la Méditerranée en 7 heures et 53 minutes. Il est le premier homme à réaliser cet exploit et à son retour à Marseille puis à Paris, il est accueilli en héros par la presse. En juin 1914, Roland Garros se rend en Autriche avec le tout nouveau Morane N afin de participer pour la troisième fois au Meeting de Vienne. Au cours de la compétition, un dirigeable militaire autrichien percute un Farman et les deux appareils s’écrasent au sol en causant la mort de neuf officiers. C’est la première catastrophe aérienne majeure de l’histoire. Tout les aviateurs français présents, décident de parer leur avions de noir avant de survoler les lieux du crash pour offrir aux victimes de magnifiques funérailles aériennes.

Le 28, l’assassinat de l’Archiduc François Ferdinand à Sarajevo va précipiter toute l’Europe dans la guerre en quelques semaines. Roland Garros décide le 2 août de s’engager comme simple soldat pour la durée de la guerre. Il est d’abord affecté à l’escadrille Morane-Saulnier MS23, avec laquelle il exécute des missions d’observation, de reconnaissance, mais aussi des lâchages d’obus empennés et des combats aériens avec un observateur armé d’une carabine ou d’un mousqueton. A l’époque, l’armement est inexistant sur des avions fait d’une structure en bois et en acier léger.

Très rapidement, Raymond Saulnier demande à ce que son ami Roland Garros soit affecté avec lui au Camp Retranché de Paris afin de l’aider dans ses recherches pour armer les avions. En janvier 1915, les deux hommes achèvent le premier prototype d’avion de chasse monoplace munie d’une mitrailleuse capable de tirer à travers une hélice blindée. Roland Garros est alors renvoyé au front dans l’escadrille MS26. Il est aux commandes d’un Morane-Saulnier type L « Parasol » équipé de son dispositif de tir et ne tarde pas à montrer son efficacité. Dans la première quinzaine d’avril 1915, l’aviateur remporte trois victoires aériennes, les 4ème, 5ème et 6ème victoires pour les Alliés, mais surtout il est le premier pilote à avoir abattu trois appareils alors qu’il était aux commandes de² son avion.

Le 18, une panne contraint le Sous-Lieutenant Garros à se poser en territoire ennemi et il est fait prisonnier avant d’avoir pu mettre le feu à son appareil. Le système d’armement, qu’il a développé avec Saulnier, est aussitôt étudié par Anthony Fokker, mais après plusieurs échecs les ingénieurs allemands inventeront un dispositif totalement différent.

Pendant ce temps, Roland Garros est interné dans le camp de prisonnier de Küstrin, où il est rapidement considéré comme une forte tête après une première tentative d’évasion. Dans les mois et les années qui suivent, il multiplie les essais obligeant les allemands à le placer sous surveillance rapprochée. Il est régulièrement transférer vers de nouveau camp de prisonnier, c’est ainsi qu’il fréquente ceux de Trèves, Gnadenfrei, Magdeburg et Burg. Fin 1917, il est renvoyé au camp de Magdeburg, où il retrouve Anselme Marchal, un prisonnier qui parle très bien l’allemand. Ensemble, ils décident de s’échapper en confectionnant de faux uniformes allemands avec l’aide de plusieurs compagnons. Le soir du 15 février 1918, ils tentent leur chance et après avoir bernés quatre sentinelles, ils sont enfin libre. Ils trouvent des vêtements civils et entament un long périple à travers l’Allemagne pour rejoindre la Hollande. De là, ils sont transférés en Angleterre puis en France. Au cours de ces trois années de captivité, la santé de Roland Garros s’est très sérieusement détériorée, en particulier sa vue. Pour pouvoir continuer à voler, le jeune pilote est contraint de se faire réaliser clandestinement des lunettes pour corriger sa myopie. Pendant sa convalescence, il doit réapprendre à piloter des avions qui ont sensiblement évoluer pendant son absence.

Clémenceau propose à Roland Garros de devenir son conseiller auprès de l’État-Major, mais ce dernier refuse, il veut retourner se battre à bord d’un avion. Il est alors renvoyé au front et il rejoint son ancienne escadrille la MS26 qui est devenu la SPA26 depuis qu’elle est équipée de SPAD XIII. Le 2 octobre 1918, il remporte sa quatrième victoire, mais trois jours plus tard il est abattu aux commandes de son SPAD par un Fokker D VII. Après avoir explosé son appareil s’écrase sur la commune de Saint-Morel près de Vouziers.

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Monument se trouvant sur les lieux du crash de Garros

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Monument se trouvant sur les lieux du crash de Garros

Photo - Tombe Garros - EMBRY Mikaël

Tombe de Garros à Vouziers

Aujourd’hui, Roland Garros est inhumé dans le carré militaire de Vouziers et un monument a été édifié sur les lieux du crash.

Coordonnées G.P.S. de la sépulture : N 49° 24′ 00,9″ – E 004° 41′ 56,0″

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Tombe de Garros aujourd’hui

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Tombe de Garros aujourd’hui

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Tombe de Garros aujourd’hui

L’aviateur est également connu pour le célèbre tournoi de tennis qui porte son nom. C’est Émile Lesieur, un ancien camarade d’H.E.C de Roland Garros, qui décidera en 1927 de donner au stade de tennis parisien le nom de l’aviateur.

L’anniversaire du plus vieil officier allemand à Cornay

Parmi les dizaines de milliers d’hommes qui ont combattu en Argonne, un officier allemand fut sans doute le plus vieil engagé volontaire de la Grande Guerre. Découvrons son histoire…

Né le 19 janvier 1836 à Postdam en Allemagne, le Comte Gottlieb Ferdinand Albert Alexis von Haeseler est déjà un homme âgé lorsque la Grande Guerre éclate. Il suit des cours à la Ritterakademie du Brandenburg, au Pädagogium de Halle et enfin au Kadettenkorp avant de devenir Sous-Lieutenant dans l’armée prussienne en 1853. Au cours de sa carrière militaire, il participe aux guerres dano-prussienne de 1864 et austro-prussienne de 1866. En 1870, pendant le conflit qui oppose la France et la Prusse, il est blessé aux côtes alors qui dirige le 15° Husarenregiment dans la région d’Orléans. L’année suivante le Comte Haeseler est promu au grade d’Oberquartiermeister ce qui équivaut à Général dans l’armée allemande qui occupe l’Alsace et la Moselle. Commandant du 11° Ulanenregiment de 1873 à 1879, avant de prendre la tête du département d’histoire militaire de l’état-major la même année. En 1880, il est nommé à la tête de la 12° Kavalleriebrigade et devient un an plus tard Generalmajor. En 1883, il dirige la 31° Kavalleriebrigade et se voit promu Generalleutnant en 1886. Il commandera successivement la 20° et la 6° Division de l’armée impériale puis sera nommé General der Kavallerie, l’équivalent de Général de Corps d’Armée en France, en 1890.

Haeseler (1)

Portrait du Feldmarschall Haeseler – Collection M. EMBRY

Avec ses nouveaux galons, il prend le commandement du XVI° Korps de Metz et quitte l’Allemagne pour s’installer à Plappeville, un village mosellan. Le Comte Haeseler finit sa carrière à Metz et quitte le service actif en 1903 avec le grade de Generaloberst. Il intègre alors la « Preußisches Herrenhaus » (Chambre des pairs prussiens) avant d’être promu Generalfeldmarschall, le grade le plus élevé de la hiérarchie militaire allemande.

Le 1er août 1914, l’empire allemand mobilise ses armées pour préparer la guerre à venir, mais le Haeseler n’est pas concerné puisqu’il a soixante-dix-huit ans. Étant encore en bonne forme physique et intellectuelle, il décide d’écrire à l’empereur pour lui demander un commandement. Son offre est décliné, mais le vieux Général insiste pour avoir une audience auprès du souverain. Le Grand Quartier Général lui annonce que Guillaume II est trop occupé pour le recevoir. Entre temps, Haeseler est invité à suivre les opérations du XVI° Korps sur le front. Il accepte ce rôle de spectateur et rejoint le Quartier Général du XVI° Korps à Florange le 19 août 1914.
Le XVI° Korps franchit la Meuse à Liny le 3 septembre 1914 et dans le courant de la journée, la 34° Division arrive à hauteur du village de Nantillois qui est encore occupé par les Français. Haeseler prend alors deux chevaux et décide de se rendre sur place avec son ordonnance. En arrivant ils capturent un soldat ennemi que le Feldmarschall interroge avant de l’envoyer à l’arrière.
Dans les jours qui suivent le XVI° Korps continue sa route vers le sud et atteint la ligne Neuville-en-Verdunois – Heippes, dans la nuit du 9 au 10 septembre 1914. Au matin, Haeseler et le commandant du Korps, le Général von Mudra, se rendent ensemble sur la ligne de front pour inspecter les troupes du secteur de Heippes, mais rapidement la situation va changer. En effet, le haut commandement français vient de déclencher la Bataille de la Marne. Pendant plus d’une journée, le XVI° Korps va défendre ses positions. Le 11 septembre, l’ordre de repli arrive et le Korps tout entier prend la direction du nord pour s’installer finalement le 15 septembre sur une ligne allant de Montfaucon-d’Argonne à Gercourt.
Le 24 septembre, les troupes de von Mudra s’empare de Vauquois, mais peu à peu le front se stabilise. Le Comte Haeseler comprend que la guerre de position pourrais avoir de funestes conséquences pour l’Allemagne. Il va même jusqu’à dire le 29 septembre à son ordonnance :

« Il est devenu évident pour moi que nous devons chercher à sortir de la guerre maintenant. »

Dans les jours suivants, il se rend régulièrement sur le front pour parler aux officiers et à la troupe. Il a pris l’habitude de se rendre aux tranchées à cheval et devient ainsi une cible de choix pour les artilleurs français qui ne manquent pas de bombarder les secteurs où ce cavalier solitaire est aperçu. Les troupes commencent à se plaindre et le Général von Mudra intervient en demandant à Haeseler d’éviter de se rendre sur les lignes de combat à cheval. Le vieil officier se vexe et va pendant un temps parcourir les positions du Korps voisin. Haeseler reste attaché à son Korps et il reprend rapidement ses visites à cheval et les plaintes recommencent.
Fin 1914, l’armée allemande réorganise son front et le XVI° Korps glisse en Argonne. Haeseler n’aime pas du tout ce secteur et la guerre qu’on y pratique et qu’il appelle « guerre des trous ». Il se plaint de voir des officiers qui passent plus de temps au téléphone qu’à cheval. L’état-major du Koprs s’installe à Apremont où Haeseler occupe une petite maison. Cette commune se trouvant non loin des lignes de combat, elle est régulièrement prise pour cible par l’artillerie et les officiers commandant le XVI° Korps déménagent à Cornay.
Cette nouvelle vie n’est pas faite pour le vieux Général qui continue à rendre visite aux troupes et en profite pour aller voir l’hôpital et les nouveaux cimetières militaires du secteur. Avec l’hiver les chemins menant au front deviennent impraticables, ce qui contraint Haeseler à limiter ses déplacements vers le front et il passe désormais le plus clair de son temps dans sa chambre. Après avoir passé Noël 1914 seul, le Feldmarschall est convié au château de Cornay pour y fêter son anniversaire. La demeure est alors pavoisée de filets verts et un grand « 79 » est installé au dessus de la porte. Vers midi, le Général von Mudra remet à son prédécesseur le cadeau fait son état-major avant que les convives ne dégustent un repas spécial.

Coordonnées G.P.S. du Château : N 49° 18′ 12,0″ – E 004° 56′ 58,8″

Haeseler (2)

Le Feldmarschall Haeseler à l’entrée du presbytère de Cornay lors de son anniversaire – Collection M. EMBRY

Dans les premiers mois de 1915, la santé du vieux Général s’aggrave et le village de Cornay est devenu la cible régulière des canons français. Cette situation oblige l’état-major du XVI° Korps à aller s’installer à Buzancy où se trouve le château de la famille Chanzy, un des adversaires de Haeseler durant la guerre franco-prussienne de 1870-71.
Avant de fêter son quatre-vingtième anniversaire, le Feldmarschall fait une mauvaise chute dans sa chambre et se plaint de douleur à la poitrine. Peu de temps après, il développe des problèmes cardiaques qui l’obligent à retourner dans sa propriété de Harnecop en Allemagne. Il revient sur le front après quelques semaines de convalescence. Il restera dans l’état-major du XVI° Korps, jusqu’à la moitié de l’année 1916 et sera finalement évacué après s’être brisé les deux poignets.

Le Comte Haeseler suivra la fin du conflit depuis son domaine de Harnecop en Allemagne où il décédera le 25 octobre 1919.